Tout semble avoir été dit et écrit sur John Bonham, le batteur légendaire de Led Zeppelin. Pourtant, en parcourant l’excellent livre John Bonham, Batteur du Tonnerre écrit par Chris Welch et Geoff Nicholls, j’ai découvert des facettes de l’homme et du musicien que je ne soupçonnais pas. Quelle personnalité se cache derrière ces rythmes inventifs et ces solos monstrueux ? Pourquoi est-il devenu une référence intemporelle pour tous les batteurs modernes ? Je vous emmène à la découverte d’un batteur audacieux et novateur à la personnalité à la fois complexe et fragile.
Le gamin de Redditch
Rien ne prédestinait John Bonham à la carrière que nous connaissons.
Naît le 31 mai 1948 à Redditch dans le comté de Worcestershire en Angleterre, il passe son enfance en périphérie de cette petite ville située au sud de Birmingham. Son père est charpentier et dirige sa propre entreprise tandis que sa mère tient un magasin de journaux et de tabac.
Le début de son histoire est commun à de nombreux batteurs. Le gamin tape sur un kit constitué avec divers ustensiles de cuisine avant que sa mère ne lui offre sa première caisse claire à 10 ans. Puis il devra attendre son quinzième anniversaire pour obtenir sa première véritable batterie.
Malgré cette passion naissante, l’avenir de John est déjà tracé au sein de l’entreprise familiale. N’étant pas un élève assidu, il quitte très tôt l’école et rejoint son père sur les chantiers de construction comme apprenti menuisier.
Parallèlement, il poursuit son apprentissage de la batterie en autodidacte. Il glane toutes les informations possibles auprès d’amis batteurs. Il découvre Gene Krupa à la télévision et il joue avec acharnement en écoutant les batteurs de jazz américains comme Buddy Rich. Puis il tombe en admiration devant le jeu puissant et technique de Ginger Baker.
« Je suis allé travailler pour mon père, mais le seul truc que je faisais vraiment avec cœur, c’était jouer de la batterie, et j’y croyais dur comme fer. »
J. Bonham – Batteur du Tonnerre – page 33
Très jeune, il joue déjà avec des formations locales et, à 16 ans, il rejoint son premier groupe semi-professionnel : Terry Webb & The Spiders. Il entretient l’espoir de devenir batteur professionnel. Mais les contrats sont rares et mal payés.
La période des vaches maigres
En attendant de pouvoir vivre de la musique, John conserve son travail sur les chantiers, car, rapidement, il doit également subvenir aux besoins de sa famille. En effet, en 1965, il épouse Pat Philipps rencontrée lors d’un concert. Ils vivent alors dans une caravane installée derrière la boutique de Mme Bonham et leur fils Jason voit le jour en juillet 1966.
Cependant, John Bonham a de plus en plus de mal à concilier l’activité musicale pendant la nuit et le dur labeur sur les chantiers durant la journée. Il perd ainsi son emploi au sein de l’entreprise familiale et se retrouve contraint de multiplier les petits boulots.
À partir de 1965, le batteur change très souvent de groupe au gré des opportunités. Il espère à chaque fois que sa nouvelle formation évoluera vers le succès. Ainsi, après un an passé au sein de Terry Webb & The Spiders, il rejoint A Way Of Life puis Crawling King Snakes où il fait une rencontre déterminante pour la suite de sa carrière : le jeune chanteur Robert Plant.
Il revient ensuite au sein de A Way Of Life en 1966, avant de repartir aussi rapidement. Il intègre alors The Nicky James Movement au cours de la même année puis Steve Brett & The Mavericks et Band of Joy, nouveau groupe formé par Robert Plant, en 1967. Mais le succès n’est toujours pas au rendez-vous et la formation se sépare en mai 1968.
John enchaîne alors les engagements. Il accompagne les chanteurs Tim Rose, Chris Farlowe et Joe Cocker. Son rêve de gloire est toujours bien présent même lorsqu’il est contraint de reprendre ponctuellement son emploi de charpentier dans l’entreprise de son père.
Batteur de Led Zeppelin : en route vers la gloire
John Bonham va finalement accéder à son rêve pendant l’été 1968 lorsque Jimmy Page quitte les Yarbirds. Soutenu par le manager Peter Grant, le guitariste souhaite créer sa propre formation. Il recrute le bassiste John Paul Jones puis Robert Plant. Le chanteur recommande alors Bonham comme de batteur.
John a 21 ans. Il vient d’intégrer les New Yarbirds rapidement rebaptisés Led Zeppelin !
Dès les premières répétitions, les quatre musiciens trouvent leurs marques. John Paul Jones et le batteur forment rapidement une section rythmique parfaitement complémentaire.
» Dès que j’ai entendu Bonham, tous mes doutes se sont dissipés. Je savais que ça allait être génial. Ce type savait ce qu’il faisait et il avait un beat d’enfer. On a de suite perçu la symbiose. »
John Paul Jones – Batteur du Tonnerre – Page 84
Les premiers concerts se déroulent dans l’indifférence du public et des médias britanniques. Mais, sous l’impulsion de Peter Grant, les choses vont vite. Il obtient la signature d’un contrat avec le label américain Atlantic Records. Et Led Zeppelin enchaîne avec une série de concerts aux Etats-Unis dès décembre 1968.
En mars 1969, la sortie du premier album éponyme marque les esprits. Il a été enregistré et mixé durant l’automne précédent en trente heures seulement ! Le groupe reprend la route avec de nouveaux concerts aux États-Unis et en Angleterre puis sort un deuxième album (Led Zeppelin II) dès le mois d’octobre. Il atteint la première place des classements dans les deux pays tandis que Led Zeppelin est proclamé « groupe de l’année 1969« .
Led Zeppelin dans la frénésie des années 1970
Au début des années 1970, Led Zeppelin poursuit sa carrière à un rythme frénétique. Jugez plutôt :
- octobre 1970 : troisième album (Led Zeppelin III) ;
- novembre 1971 : quatrième album (surnommé Four Symbols ou Led Zeppelin IV) ;
- mars 1973 : cinquième album (House of the Holy).
La cadence des représentations ne faiblit pas. Ainsi, au cours de la première année, Led Zeppelin effectue quatre tournées aux Etats-Unis et autant au Royaume-Uni. En 1974, les quatre musiciens ont plus de 450 concerts à leur actif. Ils ont produit cinq albums et le suivant est en préparation. Physical Graffiti sort en février 1975, suivi par le septième album, Presence, en avril de l’année suivante.
La popularité et le succès commercial du groupe explosent. Led Zep est adulé par ses fans. Le quatuor remplit désormais des salles immenses et les concerts sont de véritables shows. Aux Etats-Unis, il se déplace à bord du Starship, un avion de ligne privé. Il privatise des étages entiers d’hôtels. Et cette vie trépidante va avec son lot d’extravagances et de frasques de la part des musiciens.
Led Zeppelin devient peu à peu l’un des groupes les plus influents de l’époque sur le plan musical. Il compte également parmi les plus puissants d’un point de vue financier.
Le rêve se brise
Le 1er avril 1977 débute la plus grande tournée américaine de Led Zeppelin. Mais, dès le mois de juillet, la série de concerts est arrêtée suite au décès du fils de Robert Plant. Ce drame stoppe brutalement l’activité débordante du groupe.
Il faut alors attendre décembre 1978 pour voir le groupe entrer en studio pour entamer la réalisation d’un nouvel album. Les musiciens ne le savent pas encore, mais In Through The Outdoor sera le dernier disque de Led Zeppelin. Il sort au mois d’août 1979, et, malgré l’absence prolongée du quatuor, c’est un succès.
Le 17 juin 1980, ils s’engagent alors pour leur première tournée européenne depuis 1973. Mais, dix jours plus tard, le concert est brutalement arrêté après trois morceaux. Bonzo s’est effondré sur sa batterie et il est transporté à l’hôpital. L’entourage du groupe évoque un malaise dû à son épuisement physique.
Malgré cet incident, le groupe annonce sa prochaine tournée américaine. Elle doit commencer le 17 octobre 1980 et le groupe entame les répétitions à Windsor chez Jimmy Page. Mais le 25 septembre 1980, la terrible nouvelle tombe : le batteur de Led Zeppelin a été retrouvé mort dans son lit.
L’enquête conclura à un décès accidentel consécutif à un oedème pulmonaire causé par l’inhalation de vomissures durant le sommeil. La mort résulte directement d’une absorption massive d’alcool au cours de la journée précédente.
Les funérailles de John Bonham ont lieu le 10 octobre 1980 à Rushock dans le Worcestershire. Les trois membres restant annonceront quelques semaines plus tard qu’ils mettent définitivement un terme à l’aventure de Led Zeppelin.
Si vous aimez les biographies de batteurs célèbres, je vous conseille la lecture de cet article :
Une personnalité complexe
Le décès du batteur anglais était-il prévisible ? Quelles circonstances ont conduit à ce drame alors qu’il n’avait que 32 ans ?
Le livre de Chris Welch et Geoff Nicholls dépeint très bien la personnalité complexe de Bonham.
Les auteurs décrivent ainsi un jeune homme audacieux, déterminé à réussir une carrière de batteur et désireux d’imposer son style au sein de ses différents groupes. Mais sa fougue, attisée, dès son adolescence, par sa consommation d’alcool, déplaît souvent aux autres musiciens engendrant altercations et bagarres.
Cette détermination passe également par un jeu puissant. John joue très fort contraignant des propriétaires de clubs et de studios d’enregistrement à arrêter les concerts ou à lui interdire l’accès à leurs établissements. John est ainsi renommé pour être un batteur ingérable et « inenregistrable » !
« En ce qui me concerne, le feeling l’emporte sur la technique. Les prouesses techniques, c’est bien joli, mais si tu es un bon technicien, tu deviens un batteur comme les autres. L’originalité doit prendre le pas. Parfois, je crie comme un ours pour libérer toute mon énergie. J’aime quand ça ressemble à un tonnerre. »
J. Bonham – Batteur du Tonnerre – Page 43
Puis, avec Led Zeppelin, John Bonham conserve une réputation de personnage tapageur, imprévisible et agressif. Les anecdotes relatant ses frasques sont nombreuses.
Sa passion pour les voitures et la vitesse lui donne également une image d’homme recherchant les sensations fortes et flirtant toujours avec les limites. La meilleure illustration est tirée du long métrage The Song Remains The Same sorti en 1976. Bonzo apparaît alors dans une scène intense où il pilote un dragster atteignant 380 km/h !
Dr Bonham et Mr Bonzo
À l’opposé, ses amis et sa famille décrivent un homme sensible, bon vivant et généreux. Alors quel phénomène transformait le Dr Bonham en Mr Bonzo ?
Tout d’abord, avec Led Zeppelin, le jeune homme passe rapidement du statut de musicien désargenté à celui de batteur professionnel mondialement reconnu. La célébrité et l’argent lui donnent alors accès à tous ses rêves. Était-il préparé à ce bouleversement ?
D’autre part, le rythme effréné des concerts ronge lentement son endurance et l’épuise. En effet, Bonzo n’économise jamais son énergie qu’il joue dans un club ou dans un stade. Ainsi, lors du solo qu’il livre chaque soir aux spectateurs, il peut improviser seul sur scène pendant plus de trente minutes !
« Jouer le même solo à chaque concert serait mortellement ennuyeux. D’ordinaire, mon passage dure vingt minutes, le plus long, c’était presque trente. C’est long, mais quand je joue, j’ai l’impression de planer. »
J. Bonham – Batteur du Tonnerre – Page 114
Et chaque problème rencontré devient prétexte à une consommation excessive d’alcool : sa phobie de l’avion, l’angoisse avant chaque concert et sa frustration face aux journalistes négligeant sa contribution artistique.
Lors des tournées, l’alcool permet également de combattre l’ennui lorsque le groupe reste enfermé dans les hôtels pour éviter les débordements des fans. Il l’aide surtout à affronter la déprime causée par l’éloignement de sa famille.
Car, paradoxalement, Bonham aspire à une vie familiale tranquille dans la ferme achetée en Angleterre. Dès son retour, il devient gentleman-farmer et retrouve la sérénité auprès de sa femme et de ses enfants.
Mais, après quelques années, les séjours en famille ne suffisent plus à apaiser ses angoisses. Sa consommation d’alcool atteint de graves proportions provoquant d’incessants débordements et occultant le personnage bienveillant jusqu’au tragique dénouement que nous connaissons.
Un batteur audacieux et éclectique
La personnalité du batteur est certainement à la source du jeu et du son “Bonham”.
Ainsi, John explore inlassablement de nouvelles techniques pour rendre son jeu unique. Les frappes à mains nues constituent un parfait exemple. Inspirées par Joe Morello et découvertes pendant son adolescence, il les intègre ensuite dans son solo Moby Dick.
À la même époque, il multiplie les recherches pour obtenir une sonorité de grosse caisse innovante et identifiable. Puis, il utilise différents instruments de percussion (gong, congas, timbales) pour donner une coloration unique aux morceaux.
« Il pouvait faire vraiment ce qu’il voulait, avec un minimum de matériel. Dès qu’un instrument de percussion lui passait sous les mains, il se mettait à résonner comme il le souhaitait. »
John Paul Jones – Batteur du Tonnerre – Page 85
Étant autodidacte, sa posture et sa technique sont atypiques. Mais l’ensemble lui assure une maîtrise parfaite de son instrument. Il en tire alors toute la puissance et la sensibilité nécessaires pour s’exprimer pleinement.
En effet, John Bonham est réputé pour être un batteur surpuissant. Mais il peut tout autant jouer avec une extrême finesse. Il alterne des plans complexes et des grooves simples selon les morceaux. Il s’impose avec des beats puissants et saccadés ou propose un jeu plus discret, laissant à ses compères la place de s’exprimer.
« John jouait fort, c’était tonitruant, mais il était un batteur subtil dans tous les secteurs. (…) Il y avait de la lumière et de l’ombre, de la couleur et du groove. »
John Paul Jones – Batteur du Tonnerre – Pages 219-220
Autrement dit, Bonham joue pour le groupe tout en apportant une structure et une atmosphère à chaque morceau.
John Bonham, un musicien novateur et fragile
Quant à son sens de l’improvisation et à son groove très personnels, ils proviennent de multiples influences peu à peu intégrées dans son jeu. On décèle ainsi la finesse et le swing des batteurs de jazz, le groove du funk et de la soul, la puissance du rock.
« II a incarné le swing de Gene Krupa et Cozy Cole, a acquis le tranchant de Buddy Rich, il a puisé des idées chez Max Roach et Elvin Jones et possède cette touche funk d’Al Jackson et des batteurs de James Brown. Il est une synthèse. »
Steve Smith – Batteur du Tonnerre – Page 283
Nourri par tous les styles musicaux, John Bonham demeure un précurseur qui a imposé une vision moderne du jeu de batterie.
Avec ce livre, on rentre pleinement dans sa destinée extraordinaire, de son enfance à sa disparition prématurée.
On découvre sa détermination à devenir batteur professionnel puis l’énergie déployée pour faire de Led Zeppelin l’un des groupes majeurs de l’histoire du rock. On prend conscience de sa grande créativité qui transparaît dans toutes les facettes de son jeu audacieux et novateur.
« John était le plus grand batteur du monde. Je le savais, il me l’avait dit… »
Robert Plant – Batteur du Tonnerre – Page 21
Avec son style inimitable, il demeure également une influence majeure pour les batteurs de tous les horizons musicaux.
Mais, derrière la légende, j’ai découvert dans cet ouvrage un personnage généreux et passionné, un homme très attaché aux valeurs familiales, un artiste fragile et submergé par le succès de Led Zeppelin.
Pour les fans de Bonham, la dernière partie du livre contient des pépites : analyse de sa technique, présentation de son matériel, discographie de Led Zeppelin vue au travers du jeu du batteur.
John Bonham fait-il partie de vos influences ?
Quels aspects de son jeu retenez-vous ?
Dites-moi tout dans les commentaires ci-dessous !
Pour être informés de la publication des prochains articles, abonnez-vous à la newsletter de Rim Shot & Ghost Note.
Sources pour cet article :
- “John Bonham, batteur du Tonnerre” de Chris Welch et Geoff Nicholls – Edition Camion Blanc – 2013.
- “Beast – John Bonham and the rise of Led Zeppelin” de C.M. Kushins – Hachette Books.
- « John Bonham : la puissance, le groove, le son » – Hervé Chiquet et Sébastien Benoist – Batterie Magazine #177 – Février 2021.
- « City man, country boy – The John Bonham story » – Chris Welch – Traps – Automne 2007.
wow que dire de plus peut-être retourner à mes dvd l`admirer une xème fois merci pour ce texte que j`ai dévoré à +
Merci Daniel pour ce super commentaire !
A chaque fois que j’écoute Led Zeppelin ou que je regarde des vidéos, je découvre de nouvelles subtilités dans le jeu de Bonham. Il a vraiment inventé beaucoup de chose pour la batterie rock mais pas uniquement…
A bientôt j’espère.
FR[ed]C
Merci Fred pour cet article. je vais devenir accro à ton site
T’aurais pu mettre deux trois dem du maitre dont ces triplettes, on aurait pas dit non 😉
A bientôt
Stef des LSBR
Salut Stéphane,
John Bonham a fait tellement de bonnes choses que c’est vraiment trop dur de choisir ! J’ai préféré mettre le lien vers le film « The Song Remains The Same » que j’ai découvert en faisant l’article.
A bientôt.
FR[ed]C